Comment parvenir au libre accès à la connaissance ? Que faire?

Cette question posée par un chercheur sur la liste de discussion « accesouvert » me permet de revenir en arrière et de faire un rappel sur le libre accès tel qu’il s’est développé depuis plus de 20 ans, ainsi que sur ma propre expérience.

En 2001, j’ai publié un article dans le bulletin de liaison de l’INRA, la revue INRA mensuel , un article de sensibilisation au libre accès par les archives ouvertes. Cet article était sans doute un des tous premiers publiés en France sur ce sujet. Partager et utiliser des connaissances scientifiques : de la responsabilité individuelle à la responsabilité collective. http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00493624 . Voici des extraits de ma conclusion :

Que faire ?

Ces mots célèbres de Lénine au moment la révolution russe, nous renvoient à une autre révolution dans les sciences : les Archives Ouvertes ou OAI […] Nous sommes dans une période de transition : les articles en ligne voisinent avec les articles sur papier et la documentation gratuite avec la documentation payante. Aujourd’hui les OAI n’assurent pas une meilleure distribution de l’information que celle donnée par les sources traditionnelles. Mais il faut prendre conscience que nous avons la possibilité, oserais-je dire le devoir, de bâtir désormais, avec tous les autres chercheurs un réseau de distribution gratuite de la connaissance universelle […]

Ces mots écrits, il y a 14 ans avec la terminologie de l’époque sont toujours d’actualité et me permettent de développer les possibilités d’actions pour ceux qui s’interrogent comment faire pour parvenir au libre accès en 2014.

Ce n’est pas par un naïf enthousiasme que j’ai défendu dès 2001 les archives ouvertes. J’avais comme beaucoup, pensé dès 1995, que les périodiques en LA étaient la solution et avais tenté, aidée par Jean-Claude Guédon, de proposer cette solution à mon institut de recherche l’INRA. Mais je me suis rendue compte au bout de 5 années d’efforts que je ne maîtrisais pas la donne de la transformation des périodiques INRA en périodiques LA, alors que les archives ouvertes naissantes étaient un moyen à ma portée. Je pouvais les défendre et être active, tout comme chaque chercheur peut le faire partout dans le monde. [1]

 Les 2 voies

L’initiative de Budapest en 2002 a officialisé les 2 voies possibles : la publication dans des revues en LA et l’autoarchivage des publications. En 2007, la terminologie pour ces 2 voies est devenue respectivement Gold et Green. Mais rappelons que ce sont les éditeurs qui décident du Gold et que ce sont les auteurs, donc les chercheurs qui décident du Green.

Si la recherche du Gold a favorisé jusqu’à présent le développement du payement par l’auteur (contestable et contesté) quelques modèles économiques raisonnables (fair gold )  tentent de trouver leur place aussi. On les trouvera parmi la liste des différents modèles économiques de périodiques Open Access de OAD Simmons. http://oad.simmons.edu/oadwiki/OA_journal_business_models

Des chercheurs dans différentes disciplines continuent à proposer des idées sur des revirements économiques qui sont nécessaires pour la publication scientifique mais le passage à l’acte d’abord dans une microsphère, puis ensuite l’éventuelle généralisation à d’autres disciplines, ainsi qu’à l’international restent problématiques et demandent beaucoup de temps.

Rappelons aussi qu’on peut (et on doit) s’insurger contre le coût des abonnements, les pièges du « big deal », les défauts du « peer-review », l’utilisation du facteur d’impact, les copyrights défaillants, etc. mais que ce sont des problèmes indépendants de la recherche du LA.

La voie verte d’abord et le modèle de Liège avec le mandat

La proposition subversive a 20 ans https://en.wikipedia.org/wiki/Subversive_Proposal Une logique s’impose : la voie verte avec le système de publication actuel (et tous ses défauts) est bien la voie la plus rapide et c’est la voie de transition.

Le Modèle de Liège avec le mandat est incontestablement une réussite et un exemple à suivre car c’est ainsi que on peut atteindre rapidement 80 à 100% de remplissage d’une archive. Voir :  http://www.lettresnumeriques.be/2013/12/06/lopen-access-a-lulg-un-modele-qui-fait-ses-preuves/ et http://www.berlin9.org/bm~doc/berlin9-rentier.pdf

Il faut ajouter un autre modèle de réussite quasiment identique : celui de Minho.

Voir : Gargouri, Yassine, Larivière, Vincent and Harnad, Stevan (2013) Ten-year Analysis of University of Minho Green OA Self-Archiving Mandate. In, Rodrigues, Eloy, Swan, Alma and Baptista, Ana Alice (eds.) Ten-year Anniversary of University of Minho RepositóriUM. , TBA.  http://eprints.soton.ac.uk/358882/

Réponses aux craintes sur l’auto-archivage en général

En dépit de ces succès incontestables les critiques pour l’auto-archivage sont nombreuses. Stevan Harnad au fil des années a collecté les craintes et a donné des réponses. Voir les FAQ :  “I-worry-about…” 38 prima facie concerns (subgrouped thematically): http://www.eprints.org/openaccess/self-faq/

A ces peurs s’ajoutent, entre autres, la contestation du droit à mandater, la méfiance pour le contenu, la méconnaissance des moyens de recherche utilisés par les chercheurs pour retrouver des articles, qu’ils soient en Libre Accès ou non.

Réponses aux critiques de la politique forte du mandat

Voici un extrait de réponse de Bernard Rentier dans son message sur la liste « accesouvert » du 29/09/2014 :

« L’autoritarisme de ma politique n’a été nécessaire que peu de temps: celui qu’il a fallu pour que les chercheurs liégeois se rendent compte à quel point leurs articles en accès ouvert sont plus lus. Et ils s’en sont rendu compte par l’augmentation significative des citations de leurs articles (2 à 3 fois plus, en moyenne, mais il faut tenir compte qu’il y a, là-dedans, des articles qui ne sont jamais cités). Depuis lors, plus besoin de bâton, la carotte suffit. L’obligation de déposer persiste, mais plus personne ne s’en plaint. »

Réponses aux critiques sur la qualité du contenu

Certains chercheurs disent que les archives ouvertes « c’est bon pour les pays pauvres » mais eux préfèrent ne pas utiliser le contenu des archives. S’ils pensent avoir tout à leur disposition et rapidement, il est normal qu’ils évitent d’utiliser ce qu’ils considèrent  comme la « seconde zone » mais ils doivent s’appliquer à mettre en archives ouvertes pour tous ceux qui en ont besoin, riches ou pauvres, des versions propres de leurs articles, dès acceptation. Qui peut souscrire aux 24 000 abonnements scientifiques qui existent dans le monde ?

Rappel sur la façon dont on recherche un article en 2014

Il n’est pas besoin d’aller rechercher l’information en LA d’une archive à une autre. Elle vient automatiquement avec toutes les autres. L’OAI a justement permis d’éviter de butiner les archives les unes après les autres et aujourd’hui des moteurs de recherche comme Google Scholar par exemple, vous présenteront lors de votre recherche des articles libres d’accès et des articles non libres. Bien évidemment vous choisirez les articles en accès libres, surtout si vous n’êtes pas sur votre lieu de travail qui seul vous assure un accès aux abonnements payants. Bernard Rentier dit dans son message déjà cité ci-dessus « Un article dans ORBi est 18 fois plus téléchargé s’il est en accès ouvert que s’il est en accès restreint (en période d’embargo ou si l’auteur l’exige). »

La place du Gold

Pour comprendre que le Gold n’est pas rejeté  par ceux qui défendent l’autoarchivage et le mandat, il faut lire la théorie de l’évolution de Stevan Harnad : le vert d’abord et le doré viendra par mutation, ensuite. 

Harnad, Stevan (2013) The Postgutenberg Open Access Journal (revised). In, Cope, B and Phillips, A (eds.) The Future of the Academic Journal (2nd edition). 2nd edition of book , Chandos. http://eprints.soton.ac.uk/353991/

Conclusion

En conclusion de ce billet je redis encore bien fort ce que j’écrivais, il y a 14 ans : les archives ouvertes sont la solution à privilégier dans un premier temps même si « aujourd’hui les OAI n’assurent pas une meilleure distribution de l’information que celle donnée par les sources traditionnelles ».

Il faut prendre conscience que nous avons la possibilité, oserais-je dire le devoir, de bâtir de cette façon (et même avec toutes ses imperfections) un réseau de distribution gratuite de la connaissance universelle.

 

[1] Pour en savoir plus « The Open Access Interview : Hélène Bosc  http://poynder.blogspot.fr/2009/03/open-access-interviews-helene-bosc.html

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La nouvelle politique du Libre Accès des HEFCE/REF : comment ça marche

Une politique nationale pour le Libre Accès au Royaume Uni.

Les Higher Education Funding Councils ( HEFCE) du Royaume Uni  viennent d’annoncer leur nouvelle politique de financement de la recherche liant l’évaluation et le Libre Accès http://www.hefce.ac.uk/pubs/year/2014/201407/

Les HEFCE distribuent de grandes sommes d’argent à 130 universités. L’attribution des fonds par ces organismes de financement est basée sur une évaluation qui a lieu environ tous les 6 ans  et qui concerne tous les organismes de l’enseignement supérieur. Il s’agit du Research Excellence Framework (REF).

L’évaluation se fait essentiellement sur l’examen de 4 publications proposées par chaque chercheur évalué.

La nouvelle politique se résume ainsi : tout article de recherche ou acte de conférence accepté après le 1er avril 2016 qui ne suivra pas la politique de Libre Accès demandé par les HEFCE ne sera pas retenu pour l’évaluation.

Cette politique est la  politique pratiquée depuis 2008 à l’Université de Liège qui en a tiré beaucoup de bénéfices. Voir la vidéo à http://www.ulg.ac.be/cms/c_1331184/fr/orbi-ulg

Cette obligation de  dépôt liée à l’évaluation  va permettre la mise en  place d’un LA pour au moins 80 % de la production des chercheurs du RU, d’ici 2016.

Cela veut dire que la recherche du Royaume Uni sera la plus visible au monde, d’ici peu.

Les articles des chercheurs vont donc bénéficier dans un premier temps du « competitive advantage » C’est l’avantage des articles en LA d’être plus facilement accessibles que ceux qui ne le sont pas. Ils sont plus lus et donc plus cités. Cet avantage va disparaître au fur et à mesure que les autres pays rejoindront le libre accès et que ce dernier atteindra 100%. http://eprints.soton.ac.uk/266616/

Cette politique n’est pas un coup de force : une consultation demandant l’avis des chercheurs sur la politique proposée a été menée pendant toute l’année 2013 et il y a eu 460 répondants. Stevan Harnad qui a toujours milité pour le libre accès par le mandat et a recommandé la politique de Liège était un des contributeurs. Il a fait la contribution suivante : http://eprints.soton.ac.uk/349893/ et en français: http://www.mesrst.gouv.qc.ca/fileadmin/administration/librairies/documents/Contributions_courriel_facebook/02-2013_-_Stevan_Harnad_-_Recommandation_au_ministre_quebecois_de_lenseignement_superieur.pdf

Quelques précisions

La politique ne s’applique pas aux monographies, aux chapitres d’ouvrage, ni aux données.

Le dernier document accepté doit être déposé dès acceptation  dans une archive institutionnelle ou une archive partagée par plusieurs institutions (comme HAL) ou une archive thématique (comme ArXiv ou Pubmed Central).

Enfin et surtout le dépôt immédiat est obligatoire, mais l’accès peut être différé si une période d’embargo est demandée par le copyright qui a été signé. L’article peut être mis en accès clos mais les métadonnées doivent apparaître immédiatement.

Grâce à la visibilité des métadonnées, une archive qui met en place le « Bouton » permet aux chercheurs de demander et d’envoyer un TAP, d’une manière tout à fait légale. Et c’est presque du Libre Accès :

Sale, A., Couture, M., Rodrigues, E., Carr, L. and Harnad, S. (2014) Open Access Mandates and the “Fair Dealing” Button. In:Dynamic Fair Dealing: Creating Canadian Culture Online (Rosemary J. Coombe & Darren Wershler, Eds.)

Quel impact en France ?

Nous savons que beaucoup d’institutions hésitent encore à prendre exemple sur la politique de Liège, même si l’INRIA vient d’adopter cette politique. L’ Europe  a exigé une mise en LA des recherches qu’elle finance dans le cadre de HORIZON 2020 et les institutions se réfugient  derrière cette politique à long terme.

Mais suite à l’annonce du HEFCE, l’Agence nationale la recherche, l’ANR qui finance un certain pourcentage des recherches françaises ne devrait pas tarder à se montrer plus ferme dans son exigence de Libre Accès  pour les recherches qu’elle subventionne. Rappelons que déjà depuis mai 2013, le Fonds de la Recherche Scientifique en Belgique, le FNR/FNRS , a mis en place un mandat pour les recherches qu’il finance.

Il est évident que l’implémentation du  « Bouton » sera la clé de la réussite du Libre Accès en France. Ce bouton permet  à ceux qui craignent des brèches dans le copyright d’oser une politique d’obligation.

Chaque archive institutionnelle qui utilise le logiciel Eprints ou DSpace  bénéficie du module « Bouton »intégré.

Le CCSD dit depuis de nombreuses années qu’il réfléchit sur son implantation dans l’archive  HAL. Il devra  le proposer rapidement.

La politique de portée nationale exigée par les HEFCE pour le Libre Accès devrait permettre aux institutions françaises  de vaincre leurs réticences. La France peut rejoindre  le Royaume Uni dès 2016 pour donner le Libre Accès à 80 % de ses recherches.

Hélène Bosc

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Mandat + Fair Dealing Button = Légalité + Efficacité

Récemment des discussions se sont engagées sur la liste « Accesouvert » sur les avantages des réseaux sociaux tel Academia.edu. La compétition de la visibilité entre ces réseaux et les archives ouvertes telles Hal a été discutée, mais je ne me souviens pas que la question de la légalité des dépôts sur ces réseaux ait été abordée (j’entends la question de la légalité du dépôt fait par l’auteur lui même ). Un compte rendu d’une journée d’étude consacrée aux pratiques de ces réseaux sociaux  a été mis en ligne  sur http://rumor.hypotheses.org/3390  «  Les réseaux sociaux scientifiques, la visibilité et l’open access »,  et ici aussi la question n’est pas ressortie, me semble t’il. Toutefois, l’auteur du billet, Eric Verdeil, dans sa conclusion, parle  de légitimité de HAL et on peut penser que derrière légitimité il y a aussi la notion de légalité. Il dit :

« Par contre, je reste persuadé de la légitimité de Hal dans son rôle d’infrastructure centrale de développement du Green Open Access, et de la nécessité à continuer à inciter les chercheurs à l’utiliser pour le dépôt plutôt que ces sites opaque et mal conçus pour cela…. »

Premier coup de semonce des éditeurs  : Elsevier vient de demander à Academia.edu de retirer les articles de plusieurs chercheurs. http://svpow.com/2013/12/06/elsevier-is-taking-down-papers-from-academia-edu/

Il est intéressant de noter que la traque des « fautifs » et ces demandes de retrait avec leur suivi, coûtent de l’argent à Elsevier et on peut facilement penser que ce sera répercuté sur le prix des abonnements. L’un des chercheurs concerné par la demande de retrait s’explique : http://chronicle.com/blogs/wiredcampus/posting-your-latest-article-you-might-have-to-take-it-down/48865. Il conclut en disant qu’il ne publiera plus chez Elsevier. Combien le suivront ? Qui est puni ?

Il y a beaucoup de périodiques chez Elsevier qui attirent les chercheurs pour leur couverture adéquate aux recherches menées et pour leur réputation (pour ne pas parler de FI). Faut-il se priver systématiquement de publier dans ces revues, si on ne trouve pas l’équivalent chez des éditeurs « plus méritants » et  sachant que d’autres continueront à le faire ?

Je rappelle que quel que soit l’éditeur choisi, il y a toujours le moyen de mettre dès à présent, en libre accès ses articles (en attendant l’âge d’or du fair gold) : les chercheurs peuvent continuer à publier dans leurs revues favorites mais ils doivent auto-archiver dans leur archive institutionnelle sans avoir peur des mots  comme « systématique » et « pas de mandat » qui sont indiqués par exemple, dans le copyright Elsevier qu’ils signent. Que veut dire « systématique » et comment prouver qu’il y a « obligation » ? Un chercheur peut avoir auto-archivé de son plein gré, même si l’institution a un mandat. De plus, l’institution n’a rien à voir dans le contrat qui est signé entre l’auteur avec l’éditeur. Voir l’analyse  détaillée faite par Stevan Harnad du flou juridique des termes du contrat Elsevier. http://www.mail-archive.com/goal@eprints.org/msg09564.html

Et surtout  ne pas oublier le Fair Dealing Button  que l’on peut implémenter dans une archive institutionnelle avec Eprint et DSpace qui permet « un presque LA » en toute légalité et un remplissage rapide des archives avec un mandat. http://eprints.soton.ac.uk/268511/

Hélène Bosc

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